CHAPITRE II
des Chiens Anglois, Normands et de Saint-Hubert
Des Chiens Anglois.
Il est certain qu’en général les chiens Anglois n’ont pas autant de no-blesse que les beaux chiens François; mais il y a des chiens Anglois de plusieurs espèces, et, par conséquent, il faut les connoitre pour les bien choisir. Si, comme on le prétendoit autrefois, un chien courant n’est beau qu’autant qu’il est bien coiffé, c’est-à-dire qu’autant qu’il a les oreilles longues et pendantes, il est bien décidé que les chiens Anglois, à qui de tout temps on a coupé le bout des oreilles, doivent être egar-sciés comme très-vilains avec leurs oreilles courtes et souvent relevées, mais nous pensons aujourd’hui différemment; lorsque nous en trou-vons qui ont les qualités que j’ai décrites ci-dessus, nous les recevons sans les chicaner sur leur coiffure.
Les anciens veneurs prétendoient que les chiens Anglois n’avoient pas de nez ni de force ; qu’ils ne crioient pas; qu’ils ne battoient pas l’eau; qu’ils n’étoient pas requérans, et qu’enfin ils ne chassoient qu’à vue; il est certain moyennant cela que les chiens Anglois étoient alors de- très-mauvais chiens courans; mais il n’en est pas moins vrai que ceux qu’on choisit depuis longtemps pour la Vénerie n’ont pas à beaucoup près les mêmes défauts. Je conviens qu’ils ne crient pas aussi bien, et ne mettent pas aussi régulièrement le nez à terre que nos chiens François; mais, en général, ils sont plus légers et plus vigoureux; il prennent leur parti et se servent d’eux-mêmes ; ils passent et repassent les rivières chaque fois que l’occasion s’en présente, et enfin ils chassent, et plusieurs d’entre eux rapprochent, au moins aussi bien que les chiens de tout autre pays. Bien plus, si dans les grandes chaleurs le chien Anglois est obligé de s’arrêter pour souffler, il reprend haleine en peu de temps, et chasse ensuite jusqu’à la fin du jour; au lieu que le chien François se rend et souvent met bas sans ressource.
Les chiens Anglois sont fougueux et têtus dans leur jeunesse ; mais quand ils sont dressés, on peut compter sur eux, tant pour la sagesse que pour les autres qualités nécessaires à un chien courant. On leur coupe, en Angleterre, le bout de la queue et des oreilles pour leur don-ner, dit-on, un air plus leste et plus éveillé, mais nous ne les recevrions pas moins, quand bien même ils n’auroient pas ce genre d’agrément. L’espèce de chiens Anglois la plus commune en France est celle qu’on nomme chiens dut enard ou chiens du Nord; leur taille ordinaire est de vingt à vingt-trois pouces. Il y a une autre espèse de chiens Anglois que l’on nomme chiens de parc ou chiens de ce? J; ils sont ainsi nommés parce qu’en Angleterre on chasse le cerf avec eux dans des parcs; ces chiens qui ont de vingt-quatre à vingt-cinq pouces sont moins vites, mais plus souples et plus aisés à dresser que les chiens du renard. Ils n’ont ni la queue ni les oreilles coupées et ils ressemblent beaucoup à nos beaux chiens François; mais la belle espèce en est très-rare. Les bigles sont d’autres chiens Anglois qui n’ont que de seize à dix-huit pouces et qui ne servent que pour chasser le chevreuil et le lièvre; à la taille près, ils sont faits comme ceux auxquels nous donnons ici le nom de chiens du Nord, et sont aussi vites et aussi vigoureux que ces derniers. Nous nous apercevons, depuis quelques années, que la race des chiens Anglois est un peu changèe, il sont un peu plus épais et plus traversés qu’ils ne l’étoient autrefois : il y a apparence que quelques-uns de nos chiens normands, transportèe en Angleterre, ont opéré ce changement; nous ne nous en plaindrons point.
Des Chiens Normands.
Les chiens Normands ont toujours été plus étoffés que nos chiens d’élève; mais, comme dans le nombre il s’en trouvoit de légers et que d’ailleurs ils chassoient, rapprochoient et crioient bien, on en faisoit venir autrefois pour entretenir les meutes de la Vénerie et pour en tirer race; mais les beaux sont devenus très-rares et la bonne et ancienne race est dégénérée, depuis surtout que Messieurs les Normands se sont aussi décidés pour les chiens Anglois, chiens d’autant plus à la mode aujourd’hui, qu’on veut aller vite et prendre à tel prix et de quelque façon que ce soit.
Des Chiens de Saint-Hubert.
Les chiens de Saint-Hubert étoient autrefois recherchés; mais ils sont dégénérés sans doute, puisque de six ou huit que M. l’abbé de Saint-Hubert donne chaque année au Roi, il est rare qu’on en garde dans les meutes de Sa Majesté ; on en a dressé quelques-uns pour limiers et qui se sont trouvés bons, mais ceux de cette espèce sont plus rares que jamais et on n’y compte pas plus que sur les chiens cout ans. A l’égard des Anglois, des Normands et des élèves, il y en a de beaux et bons, chacun dans leur genre; ainsi les maîtres d’équipage peuvent choisir et se satisfaire. Ceux qui aiment à aller vite et à prendre plusieurs cerfs en un jour et à chasser dans toutes les saisons, doivent avoir de ces chiens Anglois nommés chiens du Nord; ceux, au contraire, qui aiment à voir chasser leurs chiens, qui se contentent de prendre un cerf, et qui même, après une belle chasse, ne sont pas fâchés de le manquer, doivent avoir de ces chiens de parc et des Normands. Quant à ceux enfin qui veulent avoir des chiens moins vites que les uns et plus légers que les autres, doivent en croiser les races, sauf les risques de différente nature et les frais qu’il en coûte toujours pour faire des élèves.